DAMES BLANCHES – texte et article

Les Dames Blanches nourrissent les légendes et la mythologie de plusieurs pays d’Europe, dont les Pays-Bas, où Manuela Luchtmeijer est née.

du phénomène naturel…

Des formes opalescentes et diffuses qui semblent flotter, dans les bois ou près des étangs, souvent au crépuscule : ce sont les Dames Blanches. On les explique par des nappes de brume qui restent près du sol et se glissent entre les arbres, errantes et mouvantes, au gré des convections de l’air, jusqu’au lever du jour et leur évaporation.

…aux légendes nordiques

Les “Witte Vrouwen” (ou “Witte Wieven” en langage populaire) apparaissent au sein des peuples germaniques au cours de l’antiquité. Ce sont des personnes réelles, très respectées en vertu de leurs dons de clairvoyance, parmi lesquelles on choisissait les prêtresses de la tribu. L’adjectif “blanche” (“witte”) ne fait alors pas référence à la couleur, mais à la sagesse, le verbe “wissen” ou “weten” signifiant “savoir”. Après leur mort, on honorait leur mémoire sur les tumulus où elles étaient ensevelies. On racontait alors que les formes blanches qui semblaient rôder autour de ces lieux étaient leurs fantômes bienveillants continuant à veiller sur leur peuple. Des siècles durant, la dame blanche est l’héroïne ambiguë de toutes sortes de légendes qui diffèrent selon les régions.

Au Moyen Âge, avec l’avènement du christianisme, les interprétations des apparitions de dames blanches connaissent une métamorphose : elles sont le fruit d’une sorcellerie et leur pouvoir machiavélique est craint ou vénéré. L’église dénonce cette croyance païenne durant plusieurs siècles et persécute ses adeptes.

La dame blanche a survecu malgré tout et continue encore aujourd’hui à hanter ou enchanter nos nuits et nos rêves…

démarche de l’artiste

Manuela Luchtmeijer évoque dans sa série une nuit dans les brumes du nord. Une première apparition plane dans une pénombre violette éclairée par la lune ; à mesure que l’obscurité se fait plus profonde, les formes sont plus tranchées, les frissons plus bleus. Enfin, l’aurore et le lever du jour ramènent la couleur. Dans son évaporation, la dame blanche livre son ultime message d’espoir : “Je maintiendrai”.*

Chaque tableau recèle une triple référence : il évoque à la fois une légende particulière, un moment de cette nuit nébuleuse, mais est aussi et surtout, la métaphore d’un événement ou d’une phase de la vie de l’artiste.

 

* “Je Maintiendrai” (en français) est également la devise  du royaume des Pays-Bas.

Walking on the Dark Side
huile sur toile / 91x116cm
Manuela Luchtmeijer 2006

 

Je Maintiendrai
huile sur toile / 100x100cm
Manuela Luchtmeijer 2005

Aborder le parcours onirique des “dames blanches” par T. Baudel

Comme beaucoup d’artistes, Manuela Luchtmeijer puise son inspiration dans son histoire personnelle, qui est le point de départ et l’un des fils directeurs de sa série des Dames Blanches*. Mais nous n’aurons pas le loisir de savoir à quelle étape il est fait allusion dans chaque tableau ; tout au plus y distinguera-t-on une tonalité, sombre ou joyeuse. En lieu et place d’une lecture intimiste, c’est un triple parcours autour de la nuit, d’un phénomène naturel et d’un mythe qui nous est proposé.

Tout d’abord, l’ensemble de l’oeuvre évolue dans une gamme de couleurs calquant les péripéties d’un épisode nocturne : violet du crépuscule, bleus sombres de la nuit, tons flamboyants du soleil levant. Comme une nappe de brume dans la nuit, prise au jeu de l’air en mouvement, chaque scène présente une forme blanche et diffuse, trait d’union entre les tableaux de la série. Cette forme évoque, sans l’illustrer pour autant, ces Dames Blanches, figures de la mythologie nordique, tour à tour bonnes fées ou sorciéres, qui ont marqué le pays de l’auteur, les Pays-Bas.

Cependant, formes et matières – trait vif et brut augmenté de taches diffuses, huiles généreuses – priment sur la figuration pour conférer au tableau son caractère polysémique.

Si les figures sont discernables, parfois même avec des détails très fins persistant sous le travail du couteau, ce n’est pas pour donner directement et naïvement un sens à l’image. Il s’agit plutôt d’exploiter le don naturel que nous avons à anticiper, dans la reconnaissance d’une forme familière en déséquilibre, le mouvement qui s’ensuivra, et conférer ainsi une dynamique à l’image fixe.

Celle-ci doit donc être interprétée comme une abstraction en mouvement plutôt qu’une figure suggérée, même si cette dernière ne saurait s’opposer à ce dont il est traité dans le tableau.

Cette recherche d’expression de la dynamique dans une image fixe est inspirée de la calligraphie orientale. En effet, l’auteur, licenciée en langue japonaise aux Langues O’, a étudié et pratiqué la calligraphie japonaise, et l’a utilisée dans ses précédents travaux avec des médias différents : la combinaison encre de chine-pastel-huile, de traité plus classique et contemporain, et la mosaïque, par matière de défi.

Un long travail de préparation du fond en couches épaisses superposées, qui peut prendre plusieurs mois, constitue le préliminaire nécéssaire à la création de chaque tableau. Cette maturation est analogue à la phase de méditation qui précède la fulgurance du tracé dans la peinture calligraphique. Le jeté de la figure blanche et son éparpillement sur la surface de la toile jaillissent ensuite de façon quasi-automatique, afin de transcrire l’évanescence des impressions fugaces et contradictoires qui ont fourni l’inspiration du tableau, et que le thème mythologique des Dames Blanches soutient à merveille.

En effet, un lien unit les sujets abordés par chacun de ces tableaux, ainsi que la série toute entière. Il s’agit de décrire les trois voies par lesquelles le rêve nous survient : la nuit, les mystères de la nature et notre histoire, collective ou personelle.

(Exposition “Dames Blanches” du 24 juin au 7 juillet 2006, Paris)

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